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21/07/2008

L’énigme des quatre cadavres de Quemenes

C’est une histoire qui aurait pu inspirer Arthur Conan Doyle : une île presque déserte bordée de courants violents et d’écueils meurtriers, quatre squelettes enterrés sous le sable dont on ignore l’origine, un pensionnat tenu par un abbé et fermé pour mauvais traitements, une population locale à la vie rude qui oscille entre omertà et histoires rocambolesques. Un mystère. L’histoire commence en mars. Une tempête d’une rare violence souffle sur les côtes bretonnes. Dans l’archipel de Molène (Finistère), l’eau s’infiltre partout, entre dans les maisons, arrache des blocs de roche de plusieurs tonnes, menace les bateaux. «Le tsunami, se remémore Philippe Richard, secrétaire de mairie. Ça faisait vingt ou trente ans qu’il n’y avait pas eu une tempête comme ça.» Sur l’un des îlots voisins, Quéménès, la dune recule, dévorée par les vagues, et découvre des restes humains.

Cette île, d’un kilomètre et demi de long, était habitée par intermittence. Quelques champs abrités du vent salé par des murets, des algues pour produire de la soude et engraisser la terre caillouteuse ont permis à des familles de survivre sur ce rocher. Depuis 2003, l’endroit appartient au Conservatoire du littoral. Un couple loue les lieux, cultive des produits bio et tient des chambres d’hôtes (complet jusqu’en 2009) pour citadins en mal de robinsonnades. «C’est moi qui les ai trouvés. Au sud-est de l’île. Un crâne humain et un bassin. J’ai averti la gendarmerie», raconte David, le gérant.

Rien d’exceptionnel dans la région. «On a trouvé plein de corps à Molène, se souvient Robert Masson, un ancien de l’île. Quand il y avait des épidémies de choléra, à la fin du XIXe siècle, on enterrait les cadavres.» Par ailleurs, les naufrages étaient légion dans les parages. «C’est violent, ici», lance le fils de Robert. La litanie des morts précoces sur les pierres tombales du cimetière de Molène confirme ses dires.

Prescription. 

Seulement voilà. Exhumés, envoyés pour datation à l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale de Rosny-sous-Bois, les résultats, rendus publics jeudi, sont venus contredire toutes ces suppositions. Les cadavres ont été enterrés il y a trente-sept ans, avec une marge d’erreur de plus ou moins cinq ans. Entre 1966 et 1976. Il y a donc prescription. Trois hommes, une femme. Jeunes, entre 20 et 25 ans. Enterrés sous un mètre de sable. Aucune trace de violence apparente. Aucune fibre de vêtements (ils étaient nus). La tête tournée vers la mer, les jambes croisées.

Les épidémies de choléra sont loin. Un naufrage ? «Il y a quarante ans, les îliens auraient déclaré les corps, ils avaient l’habitude», estime Philippe Richard. Et puis surtout, «on en aurait entendu parler», juge Robert Masson, en regardant le port d’où on aperçoit le corps de ferme de l’île de Quéménès. Dans l’archipel de Molène, tout se sait vite. L’hiver, il n’y a qu’une centaine d’habitants. «A l’époque, l’île était habitée. C’est Tassin qui habitait là-bas.»

Les Tassin, une famille originale qui a commencé par louer l’île en 1953 avant d’en devenir propriétaire en 1960. Des ermites volontaires qui ont choisi de quitter le continent. «L’île était occupée toute l’année jusqu’en 1973», se souvient Marie-Thérèse Darcques-Tassin qui a grandi sur l’île. Son père est décédé. Sa mère, âgée de 75 ans, a été «un peu secouée». «L’investigation est un petit peu soupçonneuse. Je fais toute confiance à mes parents. Nous sommes une famille très connue», glisse Mme Tassin. 

Pour elle, «ça n’a pu être fait que de nuit, à l’insu de [s]es parents. Quatre corps. Quand même. Ça ne se véhicule pas tout seul. Il faut être au moins deux personnes. Et puis, c’est quelqu’un qui connaissait bien la situation. Partout, il y a de la terre lourde et rocailleuse. Sauf là. C’est une espèce de dune. Sûrement des gens qui connaissent bien les îles.» Par ailleurs, l’endroit est invisible du continent et masqué de l’île de Molène.

Bagne.

A la fin des années 50, l’îlot tout proche de Quéménès, Trielen, a servi de centre d’éducation. Un mauvais souvenir, rarement raconté. 

«Des pensionnats pour jeunes gens, mineurs ou non, ayant besoin de rééducation physique et morale», rapporte un historien amateur dans son ouvrage l’Archipel molénais. Un véritable bagne tenu par un prêtre de Saint-Brieuc aujourd’hui décédé. Mal préparés à vivre sur les îles, les jeunes se seraient rapidement retrouvés sans rien à manger. Certains auraient cherché à s’échapper. Affamés, ils auraient été secourus par leurs voisins molénais, qui avaient alerté les autorités. L’abbé a été jugé en 1959 pour escroquerie et relaxé. «Ils ont étouffé l’affaire», croit savoir Philippe Richard.

Hasard du calendrier, Rachida Dati était à Quéménès vendredi. 

«Une enquête préliminaire est ouverte. Il n’y a pas plus d’éléments, mais cela ne restera pas sans suite. On trouvera les moyens élaborés pour retrouver les causes de la mort et dater les décès», a-t-elle expliqué. La gendarmerie n’a toujours pas fait de rapprochement avec des disparus de la région.

Sur Quéménès, le vent et la mer ont déjà effacé toute trace de la découverte.

Gaël COGNE 

Libération

(envoyé spécial à Molène)

Quemenes